mercredi 29 octobre 2008

La pluie

Début de quelque chose, à retravailler...


En entendant tomber sur le toit les premières gouttes de pluie, Jeanne va s’asseoir à la fenêtre pour observer l’averse.

À la prochaine accalmie, la voisine d’en bas en fera des tas à mettre en sac, mais pour l’instant les feuilles mortes, que l’eau fait briller, jonchent le sol. Leur odeur, montant jusqu’à elle par la fenêtre entrouverte, la plonge dans une joie vive, étrange, qu’elle s’explique mal.

Elle regarde les hommes à chapeau se débattre avec leur parapluie, les grosses femmes fardées tenter de préserver du mieux qu’elles le peuvent leur mise en pli.

Une grappe de jeunes filles se débattent pour un peu d’espace à l’abri, riant de ce parapluie trop petit, qu’elles doivent se partager; leurs yeux sont rouges, leurs lèvres gercées. Elles sont minces, osseuses, à l’exception de cette grosse blonde qui traîne de la patte, ne dit jamais rien, et dont les autres filles rient dès qu’elle quitte la pièce. Elles la trimballent quand même partout, un peu par compassion, un peu parce que la disgrâce de leur amie met en valeur leur propre beauté.

Elles sont toutes vierges sauf une, la plus grande et la plus brune. Longues dents et longues jambes, dépucelée l’an passé par le gars assis derrière elle en mathématiques, joueur étoile de l’équipe de hockey régionale. Il a rompu après trois semaines de fréquentation, au téléphone. Elle s’est vaguement tailladé les poignets dans les toilettes de l’école; ses amies, croyant à un manque d’attention, ont ignoré ses plaies, qu’elle a arborées les premiers jours de façon indécente, sans même prendre la peine d’enfiler des manches longues. Elle n’a, pour sa part, jamais parlé de sa force à lui, inouïe; de ses suppliques réitérées, pour qu’il arrête, se retire; des taches sur les draps de ses parents, qu’elle a eu tout le mal du monde à faire partir.

En s’éloignant, leurs voix s’atténuent, l’orage couvre leurs éclats de rire.

Jeanne aime la lenteur des jours de pluie, cette sensation qu’elle en retient d’être en périphérie de tout mouvement, de toute vie. Doucement la glace se transforme en eau, baisse de niveau. Une à une les voies se dégagent : le sang enfin se fraye un chemin jusqu’au coeur.

2 commentaires:

Alexie M a dit…

Merde ! «Quelque chose se passe» en tabarouette !

C'est passionnant.

J'aime.

Valérie a dit…

En effet, je pense bien avoir pogné de quoi avec ça. Je suis assez contente (malgré cette impression que j'ai que, pour un pas vers l'avant, j'en fais toujours deux par en arrière!)

Merci pour le commentaire!